Les industries du tabac et de la nicotine présentent souvent les cigarettes électroniques comme une alternative plus sûre au tabagisme. En réalité, elles attirent une nouvelle génération de consommateurs, en particulier les jeunes, avec des produits aromatisés, des emballages tape-à-l’œil et des allégations trompeuses en matière de santé.
Cette année, la Journée mondiale sans tabac met en lumière les tactiques de manipulation employées par l’industrie pour attirer les jeunes dans la dépendance, et plaide en faveur de politiques plus strictes pour protéger la santé publique.
« L’un des principaux soucis, c’est que les cigarettes électroniques attirent de nouveaux consommateurs, en particulier des jeunes qui n’ont peut-être jamais fumé, parce qu’on leur dit que ces produits sont relativement inoffensifs, ce qui n’est tout simplement pas vrai », explique Reinskje Talhout, scientifique principale à l’Institut national néerlandais pour la santé publique et l’environnement (RIVM) et responsable du Centre collaborateur de l’OMS pour la réglementation et le contrôle des produits tabagiques.
« Les cigarettes sont les produits les plus toxiques et les plus mortels du marché, donc prétendre que les cigarettes électroniques sont moins nocives ne veut pas dire grand-chose », prévient-elle. « Il est trompeur de les qualifier de sûres. »
Les arômes favorisent la consommation
« Tous les produits à base de tabac et de nicotine sont nocifs, si bon que soit leur goût ou si attrayant que soit leur aspect. Si les cigarettes électroniques sont réellement censées aider à arrêter de fumer, comme l’industrie tente de nous le faire croire, alors pourquoi sont-elles proposées dans des milliers d’arômes et dans des designs tape-à-l’œil qui plaisent aux jeunes ? », s’interroge Reinskje Talhout.
Les agents aromatisants sont parmi les additifs les plus couramment utilisés dans les produits à base de tabac et de nicotine. Ils sont conçus pour renforcer leur attrait et masquer l’âpreté de la nicotine et du tabac. Les arômes, qui vont du goût fruité au goût bonbon, en passant par les saveurs mentholées ou rafraîchissantes, masquent les qualités amères et irritantes de la nicotine et du tabac, rendant ces produits plus agréables et attrayants, en particulier pour les nouveaux consommateurs, et rendant plus difficile le sevrage tabagique.
« Le goût du tabac et de la nicotine est assez âpre », explique Reinskje Talhout, « et cela peut décourager les nouveaux consommateurs. Les arômes offrent une expérience plus agréable et facilitent l’usage de ces produits. C’est pourquoi ils sont si efficaces pour encourager la consommation, en particulier chez les jeunes. »
Lors d’une évaluation réalisée en 2021, les chercheurs ont recensé près de 20 000 liquides pour cigarettes électroniques et 250 arômes différents sur le marché néerlandais. La plupart étaient sucrés ou mentholés, très peu étaient aromatisés au tabac.
Comme l’indique Reinskje Talhout, « cela montre que les arômes sont utilisés comme principale stratégie de marketing et de conception de produits, non seulement pour améliorer le goût, mais aussi pour créer chez les consommateurs une expérience totalement différente qui attire les jeunes ».
Suite aux recommandations du RIVM, le gouvernement néerlandais a imposé en 2023 une interdiction globale des arômes de cigarettes électroniques autres que celui du tabac pour que les jeunes ne soient pas entraînés dans le piège de la dépendance à la nicotine, et afin de décourager les non-fumeurs de commencer à consommer des produits à base de tabac et de nicotine.
Au-delà du goût : le risque des additifs
Les produits à base de tabac et de nicotine contiennent de nombreux additifs, dont la fonction dépasse largement l’amélioration du goût. Certaines de ces substances sont explicitement interdites dans l’Union européenne en raison des associations trompeuses qu’elles suscitent, comme celles faisant référence à la vitalité ou aux bienfaits pour la santé.
« On trouve des vitamines, des acides aminés, voire des éléments de grain de café », explique Reinskje Talhout. « Ces additifs sont assez dangereux parce qu’ils peuvent diminuer la perception des risques par les consommateurs. À partir du mois d’avril de cette année, ces substances seront interdites aux Pays-Bas. »
« Certains additifs présentent des risques directs pour la santé en étant cancérigènes ou toxiques, tandis que d’autres vont encore plus loin en modifiant l’absorption de la nicotine par l’organisme », ajoute Reinskje Talhout. « Les agents rafraîchissants comme le menthol, par exemple, provoquent une sensation de fraîcheur dans la gorge, ce qui facilite l’inhalation et encourage une utilisation plus assidue et plus fréquente. Contrairement à la cigarette, qui a une fin naturelle, la cigarette électronique peut être utilisée continuellement, ce qui entraîne une plus grande exposition à la nicotine et aux émissions nocives et augmente le risque de dépendance. »
Une réglementation en retard sur les tactiques de l’industrie
L’OMS a mis en garde contre le fait que les inhalateurs électroniques de nicotine, dont les cigarettes électroniques, sont commercialisés dans de nombreux pays avec une réglementation limitée. Ces produits font l’objet d’un marketing agressif auprès de la jeunesse, avec des emballages et des couleurs vives, un design leur donnant l’apparence d’un jouet, des partenariats avec des influenceurs et des milliers de saveurs alléchantes.
En 2022, seuls 4 pays de la Région européenne de l’OMS avaient interdit tous les arômes dans les cigarettes électroniques, tandis que 4 autres avaient autorisé ou restreint certains arômes. Seuls 11 pays avaient interdit toute forme de publicité, de promotion et de parrainage des cigarettes électroniques, contre 36 qui les avaient interdits partiellement et 6 qui ne les avaient pas réglementés. Ces lacunes rendent les jeunes particulièrement vulnérables au marketing ciblé des cigarettes électroniques.
Pour protéger les jeunes et la santé publique, les pays doivent prendre des mesures décisives dans le but d’empêcher la consommation de produits à base de tabac et de nicotine, et de lutter contre la dépendance à la nicotine dans le cadre d’une approche globale de la lutte antitabac. Il est essentiel de faire perdre à ces produits tout leur attrait en appliquant des réglementations plus strictes en vue de protéger les générations actuelles et futures des risques qu’ils présentent.